12 décembre 2024
Ecrit par WID.world

Imposer la domination coloniale : l’impôt du sang et l’impôt de capitation en Afrique Occidentale Française

A quel point les États coloniaux africains étaient-ils coercitifs ? Les chercheurs – économistes, historiens ou politologues – ne s’accordent pas toujours. Certains voient les États coloniaux comme des Léviathans omnipotents, tandis que d’autres les décrivent comme des administrations « à moindre coût ».

Dans les colonies britanniques, les armées africaines étaient composées de volontaires. En revanche, les colonies françaises recouraient à la conscription militaire comme une forme de travail forcé. Le terme impôt du sang est apparu pendant la Première Guerre mondiale, lorsque plus de 25 000 soldats ouest-africains ont perdu la vie en combattant pour la France. Une autre institution extractive majeure était l’impôt de capitation, une taxe individuelle à taux fixe imposée à la population adolescente et adulte, y compris aux enfants dans les premières années.

Dans cet article, Denis Cogneau et Zhexun Mo analysent de nouvelles données au niveau des districts, couvrant la période de 1919 à 1949, pour étudier ces deux piliers de la domination coloniale française en Afrique subsaharienne : la conscription militaire et la collecte de l’impôt de capitation. Ils explorent comment ces mécanismes ont été mis en œuvre ou contestés au fil du temps et selon les régions.

Principaux résultats:

  • La coercition coloniale était plutôt efficace :
    • Les objectifs de recrutement militaire étaient systématiquement atteints, malgré des comportements d’évitement individuel et des conditions de santé médiocres, en s’appuyant sur un réservoir de jeunes hommes aptes.
    • Le respect des obligations fiscales était également élevé, avec environ 80 % de la population redevable qui s’acquittait de l’impôt.
  • Cette coercition n’était pas incompatible avec une certaine autonomie, voire des résistances de la part des populations colonisées :
    • La résistance à la conscription se manifestait principalement par des actes de défi individuel, comme l’absentéisme aux conseils de recrutement.
    • Des hausses des taux de l’impôt de capitation augmentaient la probabilité de conflits liés à l’impôt.
    • Pendant la Grande Dépression, le respect des obligations fiscales a chuté de manière significative.
  • Les administrations coloniales faisaient preuve de prudence dans la fixation des taux de l’impôt de capitation face aux risques de conflits fiscaux, mais elles ne réagissaient pas aux chocs économiques locaux :
    • Les taux de capitation étaient ajustés en fonction de la richesse perçue des districts, et des modérations fiscales étaient appliquées en temps de crise.
    • Cependant, les chocs locaux, comme les sécheresses ou les effondrements des prix des cultures de rente, étaient largement ignorés.
  • Ces résultats mettent en évidence la capacité des États coloniaux à imposer leur autorité malgré une réactivité politique limitée, offrant de nouvelles perspectives sur l’économie politique de la gouvernance coloniale.

AUTEURS

  • Denis Cogneau : Paris School of Economics, EHESS, IRD, World Inequality Lab
  • Zhexun Mo : Stone Center on Socio-Economic Inequality, Graduate Center-CUNY, World Inequality Lab

CONTACT PRESSE

  • Alice Fauvel, Responsable communication, press[at]wid.world

 

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