Sous la présidence brésilienne du G20 en 2024, l’idée de taxer les ultra-riches a connu un élan sans précédent. Lors de la conférence internationale « Taxing Billionaires » organisée à l’École d’économie de Paris les 8 et 9 avril 2025, des économistes ont appelé à la formation d’une coalition de pays volontaires, du Sud comme du Nord, pour placer les enjeux de progressivité fiscale, d’égalité et de soutenabilité planétaire au cœur des relations économiques internationales. Ils ont insisté sur l’importance d’ancrer ces discussions dans des processus transparents et démocratiques.
Un nouvel outil pour nourrir le débat public
À l’occasion de la conférence, le Laboratoire sur les inégalités mondiales a lancé une nouvelle version du Simulateur mondial d’impôt sur la richesse — un outil innovant conçu pour les chercheurs, les décideurs publics et les citoyens. Ce simulateur permet désormais d’explorer et de comparer des scénarios fiscaux dans un cadre cohérent pour l’ensemble des pays. Basé sur les comptes nationaux de distribution et les classements de grandes fortunes, il garantit une cohérence micro-macro et vise à démocratiser le débat sur la taxation des ultra-riches.
Une première version du simulateur avait été lancée avec le Rapport sur les inégalités mondiales 2022. La nouvelle version repose sur des données patrimoniales plus riches et plus complètes. D’autres mises à jour sont prévues, notamment un simulateur mondial d’impôt sur le revenu et une nouvelle version de l’outil de comparaison des revenus et patrimoines.
Deux décennies d’observation des inégalités de richesse
Au cours des vingt dernières années, la recherche sur les inégalités et la fiscalité a connu des avancées majeures. En mobilisant la méthodologie des comptes nationaux distribués (DINA), le Laboratoire sur les inégalités mondiales a enrichi la Base de données sur les inégalités mondiales (WID) avec de nouveaux indicateurs et une couverture temporelle et géographique élargie.
Aujourd’hui, les données sur les inégalités de patrimoine dans WID représentent environ les trois quarts de la richesse mondiale des ménages, avec des séries historiques allant jusqu’en 1913 pour les États-Unis ou 1961 pour l’Inde, entre autres pays.
Lucas Chancel, codirecteur du World Inequality Lab, a déclaré :
« Deux décennies à suivre les inégalités de richesse ont permis, en partie, de sortir de l’âge sombre des statistiques sur les inégalités. »
Les recherches montrent que la richesse se concentre de plus en plus au sommet. Pourtant, les systèmes fiscaux actuels peinent à taxer efficacement les ultra-riches.
Lors de la première journée de la conférence, les chercheurs travaillant sur la taxation effective des personnes à très hauts patrimoines ont comparé leurs résultats et leurs méthodologies. Les données issues de la France, des Pays-Bas, de l’Italie, du Royaume-Uni, du Brésil, des États-Unis, de la Norvège et de la Suisse révèlent des tendances similaires en matière d’accumulation de richesse par les milliardaires et de très faibles taux d’imposition effectifs.
Gabriel Zucman, codirecteur de l’Observatoire européen de la fiscalité, a expliqué :
« Tous impôts confondus, les ultra-riches paient moins d’impôts que les autres groupes — typiquement autour de 15 à 25 % de leurs revenus — quand les classes populaires ou moyennes en paient 35 à 55 %, selon les pays. »
De la recherche à la politique publique
Ces travaux scientifiques alimentent le débat public et les propositions de réformes à l’échelle internationale et nationale. L’an dernier, la proposition d’un impôt sur les très grandes fortunes a, pour la première fois, été inscrite à l’ordre du jour du G20 sous présidence brésilienne. Cette proposition s’inspire d’une recommandation clé du Rapport sur l’évasion fiscale mondiale de l’Observatoire européen de la fiscalité, qui appelait à « un impôt minimum de 2 % sur la richesse des milliardaires, susceptible de générer près de 250 milliards de dollars auprès de moins de 3 000 individus. »
En évoquant cette proposition durant la conférence, Gabriel Zucman a précisé :
« Il ne s’agit pas de créer une progressivité dans le système fiscal. Il s’agit de garantir qu’il n’y ait pas de régressivité tout en haut […] C’est une mise en œuvre minimale d’un principe fondamental déjà inscrit dans de nombreuses constitutions. »
Thomas Piketty, codirecteur du World Inequality Lab, a ajouté :
« Un impôt de 2 % sur les milliardaires est un premier pas utile et important — mais il ne faut pas s’arrêter là. Dans le passé, de nombreux impôts sur la fortune, en France notamment, ont échoué faute d’avoir convaincu l’opinion publique ou prouvé que les milliardaires étaient effectivement taxés. Gagner la confiance du public dans le fait qu’il est vraiment possible de cibler les ultra-riches — ceux qui détiennent plus de 100 ou 200 millions, et les milliardaires en particulier — est essentiel.
Il faut aussi mener des réformes plus larges pour répondre aux défis du XXIe siècle. Au-delà de la fiscalité, des réformes structurelles du système monétaire et commercial international peuvent produire une redistribution d’une ampleur supérieure à ce que permet la fiscalité à elle seule. »
De l’Inde à la France, les propositions de taxation du patrimoine gagnent du terrain. En rendant les scénarios d’impôt sur la richesse accessibles et comparables d’un pays à l’autre, le simulateur mondial contribuera à outiller les chercheurs, les décideurs et les citoyens pour qu’ils prennent part au débat.
La conférence internationale de deux jours sur la taxation des milliardaires était organisée par le PSE Stone Center ien collaboration avec EU Tax Observatory, le Laboratoire sur les inégalités mondiales, l’Institut des Politiques Publiques, et l’École Normale Supérieure.
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