30 septembre 2025
Ecrit par WID.world

En France, les minorités racisées subissent de fortes pénalités salariales

En France, le modèle universaliste qui refuse de reconnaître les communautés au sein de la République rend la mesure et la mise en évidence des discriminations particulièrement difficiles et sensibles. Une nouvelle étude parvient toutefois à contourner cette absence de statistiques officielles pour révéler des écarts de revenus importants pour les minorités.

Les économistes Ellora Derenoncourt, Yajna Govind et Paolo Santini étudient les inégalités raciales dans la France du XXIᵉ siècle en exploitant des données fiscales appariées avec l’Enquête Emploi (Revenus Fiscaux et Sociaux, ERFS) de 2006 à 2020. Les auteur·rice·s classent les individus selon la nationalité de leurs parents à la naissance, qu’il·elles montrent constituer aujourd’hui un indicateur pertinent de leur appartenance ethno-raciale. Cette approche leur permet d’analyser les écarts de revenus entre populations blanches et minorités racisées, et de comparer la France aux États-Unis.

 

RESULTATS PRINCIPAUX

  • Les minorités en France sont confrontées à des pénalités salariales importantes, en particulier au niveau médian de la distribution des revenus.
    • En haut de la distribution, les Européen·ne·s blanc·he·s, et dans une certaine mesure les personnes originaires d’Asie du Sud-Est, sont presque au même niveau que les Français·e·s sans origine migratoire.
    • À l’autre extrémité, les personnes originaires d’Afrique subsaharienne (ASS) et du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord (MENA) subissent les plus fortes pénalités. Celles-ci atteignent jusqu’à 28 rangs d’écart à la médiane et 15 rangs au 90e percentile.
    • Les personnes originaires des départements d’outre-mer (DOM), qui sont pourtant citoyen·ne·s français·e·s depuis l’abolition de l’esclavage en 1848, se situent quelque part entre ces deux groupes. Bien qu’il·elles restent à égalité avec les autres Français·e·s sans origine migratoire à la médiane, il·elles sont à la traîne au sommet de la distribution des revenus, contrairement aux Européen·ne·s blanc·he·s et aux Asiatiques.
    • Être né.e en France réduit ces écarts, sans toutefois les faire disparaître complètement. Les pénalités persistent d’une génération à l’autre.
  • L’étude met également en évidence l’importance d’une lecture intersectionnelle :
    • Les femmes issues de minorités connaissent des pénalités plus fortes au niveau des revenus médians, souvent liées à une moindre participation au marché du travail.
    • À l’inverse, dans le haut de la distribution, ce sont les hommes non blancs qui se trouvent davantage pénalisés, révélant des trajectoires différenciées selon le genre.
  • Enfin, les auteur·rice·s observent une aggravation des inégalités raciales au niveau médian de la distribution depuis la crise de 2009. Cela indique que les minorités avec des revenus intermédiaires se retrouvent de plus en plus distancées des personnes blanches. En revanche, il·elles observent l’émergence d’une convergence dans le haut de la distribution, où les écarts de position sociale se réduisent. Ces résultats suggèrent que l’élite du pays se diversifie de plus en plus, garantissant ainsi une répartition plus équitable du pouvoir économique et social entre différents groupes, tandis que les minorités avec des revenus intermédiaires se retrouvent de plus en plus distancées des personnes blanches.
  • Les auteur·rice·s montrent que ni le niveau d’éducation ni la localisation ne suffisent à expliquer les écarts de revenus entre groupes. Pour les personnes originaires des DOM et d’Asie du Sud-Est, ces facteurs tendent même à accroître ces écarts. Les résultats confirment l’importance du facteur discriminatoire sur le marché du travail, en particulier pour les personnes d’origine du Moyen-Orient, d’Afrique du Nord et d’Afrique subsaharienne.
  • Comparée aux États-Unis, la France est un pays plus égalitaire, ce qui limite l’ampleur des écarts en valeur absolue. Mais les écarts de position relative — les pertes de rang dans l’échelle sociale — y sont comparables, voire parfois plus marqués, malgré l’affichage d’un modèle républicain universel supposé être aveugle à la couleur.

AUTEUR.ICES

  • Yajna Govind, Copenhagen Business School, World Inequality Lab
  • Paolo Santini, Copenhagen Business School
  • Ellora Derenoncourt, Princeton University

 

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